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“Les petites paires de chaussures de toutes les couleurs sont proprement alignées contre le mur. Les enfants nous saluent d’un namasté un peu timide, se dandinant d’un pied sur l’autre : ils sont très attendrissants dans leur petits uniformes bleu et blanc.
La salle de classe est égayée par les nombreux travaux manuels accrochés aux murs et exposés sur les tables. La superviseuse explique que les institutrices essaient de développer des moyens ludiques d’apprentissage, afin d’éveiller la curiosité des enfants.
En plus de leur travail à l’école, elles réalisent aussi des ouvrages de couture, qu’elles vendent ensuite au village, pour gagner un peu d’argent supplémentaire. Elles nous présentent leurs travaux : sacs, paillassons, couvre-lits décorés avec des motifs typiques de la région.
Pour notre venue les institutrices de tout le district se sont rassemblées. Ces femmes sont vraiment motivées par leur travail. [...] la seule formation qu’elles ont reçue est celle dispensée par Vanasthali. Une d’elles explique qu’en venant ici elle voulait pouvoir apporter à ses enfants l’éducation à laquelle elle n’avait pas eu la chance d’accéder.
Les enseignantes racontent qu’au début elles se sont souvent heurtées à l’incompréhension ou à l’opposition de leur entourage. Les gens du village ne regardaient pas toujours d’un œil favorable ces femmes dansant et chantant, lors des cours de formation. Il n’était pas non plus toujours évident de trouver un local : parfois la formation était tenue en plein air, ou dans un temple, en dehors des heures de prière.
Mais les efforts ont porté leurs fruits : leur apprentissage et leur travail pour Vanasthali leur ont donné confiance en elles : elles se sentent désormais utiles à la société et gagnent leur propre salaire. Finalement leurs proches leur portent aussi une plus grande estime.
C’est en douceur que les mentalités évoluent, grâce aux petites graines de progrès semées par Vanasthali. Les transformations ne sont pas imposées brutalement de l’extérieur : c’est à force de discussions, de rencontres, que les femmes prennent peu à peu conscience qu’elles peuvent agir pour améliorer leur condition et influer sur le reste de la société, sans remettre en cause violemment leurs valeurs et leurs traditions.
Certaines d’entre elles voudraient à présent faire des études supérieures, mais cela reste compliqué car le gouvernement ne fournit pas de bourse pour promouvoir l’éducation supérieure dans les régions rurales.”
Léa Arson
“Les institutrices et les enfants avaient préparé une exposition qui rassemblait le travail réalisé au cours des trois derniers mois. Là encore nous avons été très enthousiasmées par leur créativité. Beaucoup d’objets étaient réalisés à partir de matériaux recyclés ou naturels : collages avec des lentilles crues, lampe pour Diwali fabriquée à partir de gobelets pour le chai [thé], tongues avec de vieilles bouteilles en plastiques aplaties en guise de semelle…
Cette exposition était l’occasion pour les institutrices de montrer la qualité de leur travail, et les progrès réalisés. Un représentant officiel du gouvernement du Maharashtra était également présent.
Ici les institutrices ne travaillent pas de manière autonome comme c’est le cas dans les balwadis mises en place par Vanasthali, mais enseignent seulement une heure par jour dans l’école municipale, sous la responsabilité du gouvernement. Pourtant c’est Vanasthali qui a assuré leur formation et qui paie leur salaire. Cela fait dix ans que l’ONG travaille avec cette école. La collaboration avec le gouvernement n’est pas toujours évidente : mais malgré le faible soutien, et la reconnaissance limitée que l’État du Maharashtra leur accorde, la qualité de l’éducation et la motivation des enfants pour venir à l’école s’est largement améliorée et reste leur plus grande source de satisfaction.”
Léa Arson
“Depuis un mois que je suis ici, il me revient souvent cette même impression : l’Inde est un pays d’hommes.
Combien de fois en effet, marchant seule dans la rue, je me suis soudain rendue compte qu’autour de moi, partout, je n’étais entourée que d’hommes, éprouvant alors un certain malaise, le sentiment de n’être pas vraiment à ma place.
Et de me demander alors, encore et encore, où pouvaient bien être les femmes en Inde.
Samedi, quand je suis rentrée dans le hall de l’Hôtel de la Student Welfare Association, elles étaient une cinquantaine à s’être rassemblées, assises en tailleur sur le sol, formant un joyeux patchwork multicolore avec leurs saris et leur penjabis.
Toutes ces femmes sont superviseuses à Vanasthali. Elles sont venues de dix districts du Maharastra, le temps d’un week-end, pour échanger, rire ensemble et faire le bilan de leur travail dans l’association. Plus d’une centaine de donateurs ont également été invités, mais ils sont finalement peu nombreux à avoir répondu présent.
Pour commencer, Madhuri Purandare, la fille de Nirmala, présente le nouveau manuel d’apprentissage destiné aux superviseurs, qu’elle a écrit et illustré et dans lequel elle enseigne comment apprendre le marathi aux enfants, de manière ludique.
Une fois la leçon terminée, la parole est donnée aux superviseuses.
Pendant que les travaux manuels réalisés dans les différents centres : cartes d’invitation, poupées, coloriages…, passent de main en main, les interventions et témoignages se succèdent, plus ou moins longs, plus ou moins assurés, mais toutes participent. Tout est en marathi, alors pour ne pas être complètement perdue, j’interroge mes voisines, qui parlent un peu anglais et me résument ce qui se dit.
Tour à tour, ces femmes racontent les problèmes qu’elles ont rencontrés, les solutions apportées, les progrès observés année après année. Elles partagent aussi de petites anecdotes, comme par exemple cette fois où les enfants avaient caché les livres donnés par l’association parce qu’ils voulaient les ramener à la maison. Une autre encore explique comment elles ont réussi à mettre un terme aux statistiques mensongères sur les taux de scolarisation, publiées par le gouvernement : maintenant chaque enfant doit tamponner son empreinte digitale sur une feuille quand il vient à l’école.
La nuit est maintenant tombée. Une autre femme se présente : Aparna , venue de Baramati. Elle va cette année célébrer dans son district ses 25 ans de travail pour Vanasthali. La fête aura lieu en décembre et les 600 institutrices de Vanasthali seront invitées. Applaudissements dans la salle.
Puis vient l’heure du repas : le dîner est très simple, après avoir fini de manger chacune lave son assiette, et celles qui ont terminé prennent le relais et font le service pour les suivantes. C’est aussi l’occasion pour moi de faire un peu plus ample connaissance avec les superviseuses. Elles me demandent ce que je suis venue faire en Inde, sont étonnées que j’aime la nourriture épicée et me demandent comment je fais pour manger ici : est ce que je cuisine moi-même, ou bien vais-je manger au restaurant ? Elles me parlent de leur mari et de leurs enfants, me montrent quelques photos sur leur téléphone.
Pour que leur famille ne manque de rien pendant leur absence, la plupart ont préparé à l’avance de la nourriture. Pour d’autres c’est la belle fille qui prend le relais pendant ces deux jours.
Sujata, 37 ans, me raconte qu’elle travaillait dans une Balwadi (école maternelle) depuis plusieurs années, quand elle y a rencontré une membre de Vanasthali. Cela fait maintenant deux ans qu’elle a rejoint l’association, en tant que superviseuse dans la ville de Kolhapur. Elle aime les enfants et avait envie de faire « quelque chose de social », c’est ce qui, me dit-elle, a motivé son choix.
Au centre où elle travaille, elle a appris à lire à un enfant cul de jatte. Sujata raconte avec joie qu’il a beaucoup de mémoire, et retient tout ce qu’elle lui enseigne. Il attend maintenant avec impatience d’apprendre à écrire. Bientôt elle va aussi donner des cours particuliers à un garçon de 10 ans, qui ne peut pas aller à l’école car il doit s’occuper de sa mère enceinte, pendant que son père est au travail : deux heures tous les jours, à domicile.
Quand elle parle, d’un ton très posé, elle sourit beaucoup, et conserve une certaine retenue que j’ai l’impression de retrouver chez beaucoup de femmes indiennes.
Elle est venue avec une autre collègue, Asifa, qui elle travaille dans une Remand school, un orphelinat. Elle explique que les enfants orphelins ne reçoivent pas la part de l’éducation normalement apportée par la famille, et qu’ils rencontrent souvent des difficultés pour suivre à l’école. Alors depuis vingt ans elle travaille avec Vanasthali et leur donne des cours de maths, de marathi, d’anglais, d’histoire de géographie : une heure trente chaque matin, avant que les enfants partent à l’école.
Je suis très émue face à ces femmes qui agissent en toute simplicité, et qui malgré la force de leur engagement ne cessent de dégager une grande humilité.
Pour la nuit, la grande salle de réunion est transformée en dortoir : les femmes dorment par terre, sur les tapis et couvertures qu’elles ont provisoirement installés.
Comme jeudi dernier l’Inde a célébré le teacher day, cette rencontre a aussi été l’occasion de récompenser les enseignantes. Le dimanche matin a donc lieu la remise des prix : trois récompenses au total, pour la meilleure superviseure, la meilleure training teacher et enfin la meilleure balwadi teacher, chacune ayant reçu une enveloppe de 1000 roupies. L’une après l’autre elles se baissent aux pieds de Nirmalatai, en signe de remerciement.
Après le repas du midi elles repartiront toutes dans leurs villes et villages, par le train ou le bus local.
La semaine prochaine elles organiseront, chacune dans leur district, une réunion avec les institutrices. Elles partageront avec elles les expériences de ce week end, leur transmettront les nouvelles méthodes d’enseignement qu’elles ont apprises, et les institutrices pourront ensuite les mettre en application avec les enfants des balwadis et des training centres.”
Léa Arson